RÔDEUR DE JOUR – SCÈNE 3 – RENÉ TROIN/LIONEL SALMON

Le hasard existe, je l’ai rencontré ! Par hasard ! Il y avait ce crieur de journaux. Et ça me faisait tellement mal de l’entendre crier, que je lui ai acheté toute sa pile ! Le silence est retombé sur la rue Louis Braille ! J’ai trouvé une place en terrasse. À la « Fortune du pot », c’était le nom du bistrot ! Des détails pareils, ça ne s’oublie pas ! J’ai feuilleté quelques journaux. À la une… À la deux… À la trois… Apparemment, la veille et encore une fois, personne n’avait décrété l’état de bonheur permanent. Alors, j’ai sauté directement aux offres d’emploi. Et c’est là que j’ai lu : HASARD CHERCHE RÔDEUR DE JOUR.

Il y avait une adresse… J’ai eu du mal à trouver, mais il m’a rassuré tout de suite, c’était du provisoire… Forcément, le Hasard. Il m’a reçu, sympa… J’ai dit : « je viens pour l’annonce » et lui, il m’a félicité pour mon goût du risque. Moi je n’ai pas voulu contrarier un hasard qui avait l’air si heureux… Je n’ai pas vraiment le goût du risque mais j’avais mes diplômes, un curriculum vitae et même des références. Tout ça faisait un gros paquet que j’ai posé sur le bureau. Et, là, j’ai bien failli tout gâcher ! Pour faire ce métier, pas besoin de bagage ! A part une valise noire ! Vous avez une valise noire ? J’avais une valise noire que j’avais prise à tout hasard, mais je n’osais pas l’avouer, maintenant qu’il retrouvait le sourire…

« Il vous faudra également deux jeux de dés, l’un tout à fait classique avec ses chiffres, l’autre fabriqué spécialement pour la circonstance, avec des lettres. La maison fournit également ce jeu de cartes de la ville… Et vous voilà paré à roder… Roder de jour, toujours ! La nuit est réservée au rapport sur le port ! Attention ! Un rôdeur de jour sachant roder doit savoir faire rouler les dés ! Tout est là ! Dans ces trois dés numérotés de 1 à 6 , qui vous donnent 216 combinaisons possibles ! Et là, dans ces dés gravés de voyelles et de consonnes dont le nombre je dois vous le dire n’a pas été laissé au hasard !

Il prend les chiffres ! Il annonce 457, s’approche du jeu de cartes annonce : « Centre ville » et dit : «  voyons si les lettres confirment » le choix des chiffres. Il annonce O.P.E.R.A ! « Vous avez de la chance, hier matin , j’ai du m’y rependre une bonne dizaine de fois ! » et le futur rôdeur dit «  Mais aujourd’hui, peut-être parce que vous êtes là, le hasard a vite fait bien les choses ! » – Alors il prend congé – prend tout son attirail et descend vers Opéra – centre ville !

Il pleut, la place est grise ! Et pourtant le soleil brillait sur le canal ! C’est peut être que le ciel s’est mêlé au décor de « VENISE FIGÉE », le ballet annoncé pour ce soir. Et la danseuse est là, je l’ai vue qui sortait lentement de l’affiche que la pluie irréelle a fait tomber du mur !

Sur la grande scène

de la rue

près du canal

où tardent les péniches

le long du haut mur

de l’Opéra

seule une danseuse

glisse de l’affiche.

Pas glissé sur l’eau

Pas glissé sur l’eau

Bleue gelée du canal

Pas glissé sur l’eau

dans la nuit

son geste vertical

Mais dans la foret aux

cris cachés

sous une lune

où les animaux bataillent

une voix lointaine

de cristal

souligne son pas

de danseuse orientale.

Pas glissé sur l’eau

Pas glissé sur l’eau

Bleue gelée du canal

Pas glissé sur l’eau

dans la nuit

son geste vertical

Danse danse danse

de la rue

près du canal

où la vie chasse la mort

son corps tel un cygne

noue des soleils

autour des regards

noyés dans leurs rêves

Pas glissé sur l’eau

Pas glissé sur l’eau

Bleue gelée du canal

Pas glissé sur l’eau

dans la nuit

son geste vertical

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