L’exactitude n’est pas la politesse du hasard. Je ne me plains pas. Je constate. D’ailleurs, c’est un retard du hasard qui m’a permis de rencontrer le vieux loup de mer. À l’heure du rapport, il était sur le port. Assis, les pieds à fleur d’écume, face à l’horizon et au ciel des soirs d’été qui se donne des airs de cartes postales.
Mais le vieux loup de mer n’en voyait rien, ou du moins je croyais. Il était là, les yeux fermés. « Ferme les yeux petit et tu verras la mer » ! C’est un proverbe qu’il tient de son père qui lui-même le tenait… Mais j’arrête là ! Grimper aux arbres généalogiques, ça me donne le vertige !

La mer, elle est là, dans sa tête ! Il la connaît sous toutes les latitudes, longitudes, solitudes, turpitudes… Et quand il ne trouve plus de mots assez rudes, il élude… « Ô combien de marins… » ! Ne vous fatiguez pas ! On ne saura jamais… Ni combien de manières ils ont d’aimer la mer. Le vieux loup de mer, lui, raconte des histoires, tenez celle du moulin…

Ce moulin merveilleux, un capitaine terre-neuvien l’a dérobé à un sorcier. Et ce moulin moulait tout ce qu’on voulait… Une fois au large, le capitaine lui a ordonné de moudre du sel ! La cale du navire en fut bientôt remplie. Mais allez arrêter un moulin magique ! D’autant plus que le capitaine n’avait pas eu l’occasion de demander le mode d’emploi. Le bateau a coulé et depuis le moulin continue. Et c’est ça qui m’a mis l’angoisse !

Bon, je suis comme tout le monde, dans ma tête, il y a des tiroirs ! Alors, d’un côté le moulin, De l’autre les salines… Question d’équilibre ! Maintenant enlevez les salines, le sel reste dans la mer. Il y a saturation, forcément ! Des océans de sel ! Sale coup pour les compteurs de vagues ! Vous ne les avez jamais remarqués ? Ils sont sur les plages chaque été… Je vais vous aider à les repérer !

Ils sont debout, dans les vagues, les yeux dans le vague, une main levée, les doigts vaguement tendus. On dirait qu’ils sont prêts à recevoir une balle. Mais personne ne leur envoie jamais rien. Ils sont là pour compter et rien d’autre ne compte pour eux que cette tentative désespérée de mesurer la surface de la mer toujours recommencée. Et ils ont beau se concentrer, celui qui compte en long, celui qui compte en large, ils ne tombent jamais d’accord. Ils se mettent en colère, ça tourne à la tempête ! Ils n’ont plus qu’à s’y remettre ! On ne peut compter que sur la mer calmée ! Alors s’ils devaient compter les grains de sel, vous vous rendez compte ? Et encore, je ne vous raconte pas quand ils s’embrouillent à cause d’un message trouvé dans une de ces bouteilles qu’on jette à la mer !

Les petites bouteilles
De verre bleues fragiles
Que je jette à la mer
Emportent avec elles
Un cri
Un appel
Un papier amer
SOS SOS un message à la mer
Oh ! J’avais tracé
Sur le papier bavard
Des mots insensés
Un soir de cafard
Un coup de tabac
Et je bois la tasse
Un piètre jaja
Dans le fond d’mes godasses
Et j’avais échoué
Comme Robinson
Sur une île secouée
Et plus de maison
Le vent par-dessus
Les voiles en berne
Le pont par-dessous
Les vagues, j’hiberne
Les petites bouteilles
De verre bleues fragiles
Que je jette à la mer
Emportent avec elles
Un cri
Un appel
Un papier amer
SOS SOS un message à la mer
Il fait si froid dedans
Ma prison humide
Sur le pont devant
Une armoire vide
Mes poches trouées
N’ont plus de souvenirs
Pas même une bouée
Pour ne pas mourir.
Mon bateau de papier
Au cœur de la dérive
Jette l’encrier
Sur la dernière rive
De Lampedusa
Nomade en naufrages
Je glisse jusqu’à
Toucher la marge.
Les petites bouteilles
De verre bleues fragiles
Que je jette à la mer
Emportent avec elles
Un cri
Un appel
Un papier amer
SOS SOS un message à la mer
Je n’aurai pas vu Paris
Ni la Tour Eiffel
Ni le car-ferry
De calais la nuit
Ni la passerelle
Jetée sur la tamise
Ni la sentinelle
Dans sa blouse grise
Je n’aurai plus d’amour
Dans mes yeux qui rêvent
Plus de lettres pour
Apaiser ma fièvre
Je n’aurai plus le temps
De chanter la vie
Ce refrain entêtant
Dans tes bras, blotti.
Les petites bouteilles
De verre bleues fragiles
Que je jette à la mer
Emportent avec elles
Un cri
Un appel
Un papier amer
SOS SOS un message à la mer
J’irai embrasser
Le dos des tortues
Une dernière brassée
Un dernier salut
Au jour qui s’en va
Au fond de l’abîme
La nuit dans mes bras
Pour un baiser ultime
J’irai jusqu’à toucher
Les étoiles de mer
Jusqu’à me coucher
Sur leurs seins couverts
De mousses corail
Et de coquillages
Pour mes funérailles
Pour mon dernier voyage
Les petites bouteilles
De verre bleues fragiles
Que je jette à la mer
Emportent avec elles
Un cri
Un appel
Un papier amer
SOS SOS un message à la mer