Quand elle était petite souvent, elle venait voir travailler la boule des démolisseurs. La poussière vous laisse sur la peau, un parfum épais.
Kamel le très vieux, celui qui racontait, devinait dans cette odeur qui vole, le soupir des murs qui tombent.

Une maison brisée révèle des rectangles de papier, des coulées de peintures qui dessinent une mosaïque fragile. Parfois un manteau de cheminée résiste avec, posé dessus, un objet dérisoire : une pendulette arrêtée ou un souvenir qui neige quand on le secoue. Rien, toutefois, qui permette de raconter une histoire. Ici, les gens ont provisoirement renoncé à leur histoire, rangé leurs souvenirs en attendant la suite. Ils gardent leur mémoire dans un coin de leur tête, un bagage plié.
Quand elle n’en pouvait plus d’être griffée de larmes, Djamila s’éloignait des chantiers.

J’ai vu ma maison
Tomber dans la rue
Un bout de cloison
Dans le ciel, pendue
J’ai vu le pastel
Des belles-de-nuit
Flétrir c’est cruel
Sur le mur détruit.
Ô ma maison tombée à la guerre
J’ai vu ma maison
Nue dans la poussière
Des pierres à foison
Des tombes, un cimetière
Une vieille photo
Souvenir de grand-mère
Un tout petit bateau
Et son mat de travers
Ô ma maison tombée à la guerre
J’ai vu ma maison
Perdue dans le silence
D’une chanson
Une nuit d’absence
Un p’tit souvenir
Qui neige le dimanche
Un petit soupir
Dans la nuit qui penche
Ô ma maison tombée à la guerre
Un petit soupir
Un moment de vie
Dans l’air qui chavire
Mon rêve englouti.
Des camions guerroient
Un outre voyage
Un abandon à
La dernière page.
Ô ma maison tombée à la guerre
Et moi je m’en vais
Mon bagage plié
Souvenir que j’avais
Pas envie d’oublier
Je l’ai mis dans un coin
Un coin de ma tête
Rangé avec soin
Une chanson muette.

Ô ma maison tombée à la guerre