Spectacle écrit avec René Troin en 1987 – En voici la scène 1 – Affaire à suivre….

Je suis rôdeur de jour. C’est mon métier. Le matin, je descends gare de la ville haute. D’où je viens ? Aucune importance. Ce qu’il faut savoir, c’est que le soir, je vais sur le port… Pour mon rapport.
Entre-temps je flâne, je déambule, je me promène, j’observe, j’épie, je file, j’interroge… Je m’inquiète de la santé des pavés sous la plage. Le pavé ? Je le bats, j’y roule ma bosse et aussi mon tabac. Je prends l’air de rien, et le grand boulevard, là où il y a des arbres, les derniers dans la ville.
Les autres ? Arrachés ou bien morts ! Allez savoir pourquoi ! Allez savoir de quoi ! Alertées, les autorités atterrées se sont attaché les services du seul spécialiste sérieux : le jardinier architecte du cimetière des feuilles mortes.
Alors vous pensez si depuis les arbres sont soignés ! Des précautions, des attentions et des potions et des prières ! Je le sais je l’ai vu ! C’était l’automne ! Et comme on l’avait chargé d’établir une étude comparative sur la chute des feuilles et leur comportement en l’air et au sol, le jardinier architecte des feuilles mortes, une brindille entre les doigts, tentaient de fixer ses conclusions dans la chlorophylle.
Mais il était trop lent pour sa pauvre mémoire ! Il essayait pourtant… À l’école on lui avait dit et répété : « Les paroles s’envolent, les écrits restent » ! Mais ça aussi il l’avait oublié. Je vous ai dit que sa mémoire lui jouait des tours. Et, là-haut, dans les branches, il jouait avec les oiseaux.

Je l’ai revu, plus tard, dans la même saison, faire des petits tas de feuilles et dessiner avec des chevaux, des soleils. Tout ça faisait une ronde immobile. Il avait l’air content et même très content. Mais voilà, il avait compté sans le vent… Le vent ça vous balaie un boulevard en moins de temps qu’il n’en faut pour voir disparaître son chapeau emporté par le vent.
Alors le jardinier architecte du cimetière des feuilles mortes a laissé passer la tourmente. Après, il s’est levé. Et d’un seul coup de craie, il a barré le trottoir d’un grand trait. Je me souviens qu’il a joué à pile ou face avec un caillou avant de s’en aller. Il montait une odeur de feuilles brûlées. La ville était bleue. Et moi ? J’ai rejoint le vaisseau fantôme des sables du désert.