RÔDEUR DE JOUR – SCÈNE 5 – RENÉ TROIN/LIONEL SALMON

Le rôdeur de jour joue avec ses dés, consulte ses cartes. Et lit, « Hôtel du port ». Il prend un dépliant, sur une table de l’Hôtel et le lit :

Pour passer de bonnes vacances, vous avez le choix entre : le Club avec vue sur les dromadaires, les Châteaux de la Loire avec vue sur l’histoire, le camping avec vue… Sur le camping… Ou alors, il y a le petit hôtel sans étoile avec vue sur la mer et surprise à la clé.

Excusez-moi si je vous dérange

Rappelez-moi à quelle heure on mange ?

D’accord vos prix sont les plus bas l’hiver

Mais si la table est mise

Je ne vois pas d’couverts !

Hôtel du port

Tais-toi et dors

Au Beau Rivage

Tais-toi et nage

Hôtel du port

T’approches pas du bord

Au Beau Rivage

Mange ta bisque et rage !

Excusez-moi si j’vous assomme

J’ai pris un’douche il m’en reste la pomme

C’est vrai qu’c’est pas rien la vue sur la mer

Mêm’ si le store n’répond qu’aux courants d’air !

Hôtel du port

Tais-toi et dors

Au Beau Rivage

Tais-toi et nage

Hôtel du port

T’approches pas du bord

Au Beau Rivage

Mange ta bisque et rage !

Excusez-moi si j’vous arrête

Où partez-vous si tard en casquette

« Cher client il faut que je vous explique

Notre formule « vacances magiques »

Avec l’ennui de morte-saison la pluie

Cet hôtel vous offre la chance unique

D’avoir quelque temps, c’est fantastique,

Votre peau sur les os d’un veilleur de nuit. »

Hôtel du port

Tais-toi et dors

Au Beau Rivage

Tais-toi et nage

Hôtel du port

T’approches pas du bord

Au Beau Rivage

Mange ta bisque et rage !

Eh bien, voilà, je vous laisse le registre, les clés,

Les instructions sont affichées

Au revoir cher Monsieur et merci

Et bonne nuit !

Hôtel du port

Tais-toi et dors

Au Beau Rivage

Tais-toi et nage

Hôtel du port

T’approches pas du bord

Au Beau Rivage

Mange ta bisque et rage !

Bonsoir Madame, bonsoir Monsieur,

Une chambre pour deux ?

Avec vue sur la mer, parfait !

N’hésitez pas à tirer sur le store

Il est un peu coincé !

Et appelez-moi quand vous voulez !

N’ayez pas peur de me déranger !

Le rôdeur de jour a poursuivi sa route. Il est passé par un bar, là-bas sur le port. Il sait. Il fait son rapport. « Les hivers ont changé. Il pleut beaucoup maintenant. L’orage, prisonnier entre mer et montagne couvre la ville basse. À cet endroit, les rues se pressent pour être la première à la mer. Je connais un bar, très gris, très vieux, comme un décor. Dedans, ça bouge et ça dort.

Accoudée au comptoir

Dans le dernier bar

Du sud du désert

Elle boit une bière

Rousse. La mousse,

Chavire douce-amère,

Épouse, éclabousse

Le zinc et la poussière.

Secousse salée

La planète a glissé

De Mars à Jupiter

Entre le feu, le fer !

L’oiseau aux ailes dures

A laissé sa fêlure

Son bazar blessant

Tomber sur les passants

Ô fou les soleils !

Ô fous les grands soleils !

Sur la mer de cailloux

Le bar est vent debout !

Dressé comme un phare

Comme un vaisseau bizarre

Sa boîte à musique

Noire à désespérer

Répète trois mesures

D’un vieux tube brisé !

Un’ dernière goutte de bière

Sur le zinc s’écroule

Il revient des hier

Il débarque des foules

Sarah presse le silence

Et sous ses yeux inquiets

Dessine un alphabet

Du bout d’un doigt d’absence

Ô fou les soleils !

Ô fous les grands soleils !

Amour, amour, amour,

Comment gagner la mer

S’il en reste encore une

Au loin de la Chimère

Comment gagner le vent

S’il en reste un qui chasse

Les oiseaux rapaces

Et leur rêve de sang.

Sous la robe rousse

De Sarah, si douce,

Un enfant se libère

De ses deux mains, pousse !

Ô ventre de velours

Ô ventre d’outre-mer

Amour, amour, amour,

Comment gagner la mer

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