Laissez-moi vous conter l’histoire étrange et mystérieuse de Mosiah, funambule, seul artiste de son Cirque de l’Air installé sur la place Alexis Gruss, au centre de son village. Que Mosiah soit funambule, c’est une chose. Ça lui va bien, car il a du talent. Et le public qui vient le voir naviguer sur son fil au plus haut de son chapiteau en sait quelque chose ! Sinon, il ne viendrait pas.

C’est un cirque haut en couleur, avec une entrée libre. Pas de caissière ou de caissier. Non. Juste une petite boite, une tirelire, où chacun peut selon son bon vouloir, laisser son obole que Mosiah, relève après chaque spectacle et qu’il va dépenser chez Francette l’épicière.
Mais quelle idée saugrenue ! Être funambule, Mosiah, passe encore ! Mais de surcroît, être somnambule ! (Ce qui rime avec funambule, d’ailleurs !) Bon, OK, va pour somnambule ! Mais , ouf ! Uniquement les nuits de pleine lune ! 3 nuits par mois ! C’est déjà pas mal et 27 nuits pour dormir tranquille, sans déranger son monde ! Pour ajouter à cette étrangeté, Mosiah, n’en sait rien ! Il est somnambule et ne le sait pas ! Personne ne le lui a dit ! Il l’ignore ! C’est peut-être tant mieux ! Va savoir ! Qu’importe ! Cela donne à Mosiah, l’occasion de susciter une curiosité accrue chez les gens du village et d’alentour !
Comment l’a-t-on su ? Justine, une amoureuse secrète, sa voisine d’en face, habitant « Rue des Étoiles » comme lui, le kiffe à mort. Elle n’a de cesse de guetter le moindre de ses faits et gestes. Une nuit de pleine lune, alors qu’elle est à sa fenêtre, les yeux rivés sur la maison d’en face où loge notre artiste, elle le voit, en pyjama, sortir dans la « Rue des Étoiles », et se diriger dans la direction de la Place Alexis Gruss où est installé son fameux Cirque de l’Air ! Elle descend. Le suit ! Tout ce qu’elle voit la stupéfait ! Son comportement ne laisse aucun doute ! Elle comprend, elle, dont le métier est d’être hypnothérapeute ! Il est somnambule !
Justine, par amour pour lui, décide d’en informer les gens du village, et surtout celles et ceux qui habitent la Rue des Étoiles, celle qui mène à la fameuse Place !
Alors, passés les douze coups de minuit, lorsque la lune est bien haute et pleine dans le mitan du ciel, on voit Mosiah sortir dans la rue en pyjama. Au fur et à mesure de son parcours, une longue file de gens, à la queue leu leu, le suit en silence, jusqu’à son cirque. Mosiah, entre, suivi toujours du public noctambule et silencieux. Pas besoin de lumière. La lune, par la fente faite au ciel du chapiteau, éclaire d’un rond blafard la piste et le fil tendu au-dessus. Lui, il quitte son pyjama, pour se vêtir de son bel habit de gala. Le public, toujours dans un silence religieux, prend place sur les bancs tout autour de la piste.

Alors, Mosiah, part en balade sur le fil tendu au-dessus de l’arène de sable, la tête dans le coton de sa nuit somnambule. Quitte sa bulle de nuit, pour aller buller ailleurs ! Tintinnabuler avec les étoiles et la lune dans son cirque théâtricule !
Quand on est funambule
Ah ! Ce n’est pas commun
D’être aussi somnambule
Il va à tâtons sur son fil noctambule. Les bras tendus, ouverts comme les ailes d’un oiseau, au risque d’une chute sur le tapis de sol sableux. Il risque à tout moment de faire la culbute dans un style rock and roll ! Il tente l’aventure, chaque nuit, les yeux grands ouverts en haut du ciel obscur de son cirque d’hiver ! Un cirque théâtricule face à la mer !

Quand on est funambule
Ah ! Ce n’est pas commun
D’être aussi somnambule
Le public fantôme assis sur les bancs, stupéfaits, étonnés, muets comme des carpes, bluffés pat tant de performances, à 10 mètres au-dessus du sol ! Aucun n’ose crier sa joie ou taper dans ses mains devant le bel exploit du dormeur aérien. Pour ne pas l’éveiller. Il ne faut pas réveiller un somnambule. Et s’il tombe ? Et s’il meurt ? Dans quelle solitude seraient Justine et ses voisins ?
Quand on est funambule
Ah ! Ce n’est pas commun
D’être aussi somnambule

Le public le voit traverser le ciel du cirque étoilé, et aller faire de l’autre côté du fil, un baisemain à la dame de la lune qui se balance à la brune sur un vieux rocking-chair ! En l’air, là-haut, perchée dans sa robe de dentelle ! Une fois fait, il redescend, le visage bizarrement maquillé de blanc comme un Pierrot, il quitte son habit de gala, reprend son pyjama et sort du cirque. Le public le suit, toujours en silence, au passage chacun laisse une pièce dans la petite boîte tirelire. Et l’accompagne tous derrière, tous derrière et lui devant jusque chez lui, Justine en tête du cortège des habitants.
Tous, une fois certains que Mosiah soit bien en sécurité chez lui, pour finir sa drôle de nuit dans son lit, rentrent dans leurs maisons, heureux et contents de ce petit spectacle nocturne !
Au matin, 10 heures sonnent à l’horloge de l’église. Justine, toujours rivée à sa fenêtre voit Mosiah, sortir de chez lui, dans son beau costume bleu nuit avec quelques poussières d’étoiles sur les épaules. Il sort préparer son spectacle de 17 heures pour les enfants. Elle sort de chez elle et le suit avec des cœurs plein les yeux. Mosiah arrive à l’entrée de son cirque. Il remarque qu’une pièce dépasse de la tirelire. Tiens, se dit-il, j’ai bien ramassé la recette d’hier ! Pourtant ! Il ouvre la boîte ! Elle est pleine ! Il ne comprend pas ! Il ne comprendra jamais ! Car ce phénomène se reproduira autant de fois qu’il aura ses sorties somnambuliques ! Les nuits de pleine lune !
Il ne saura jamais qu’il est somnambule. Et après tout ! Peu importe ! D’où vient le bonheur ! S’il y en a chez lui, du bonheur ! De l’amour qu’il donne ! Et qu’il reçoit ! Alors Justine, parfois va jusqu’au cirque, et sur la Place, d’avec sa guitare, chante une chanson, « je m’appelle la lune », de Léo Ferré.